← Il n’y avait pas besoin qu’on eût réellement ces goûts pourvu qu’on les proclamât; d’un homme qui lui avait avoué à dîner qu’il aimait à flâner, à se salir les doigts dans les vieilles boutiques, qu’il ne serait jamais apprécié par ce siècle commercial, car il ne se souciait pas de ses intérêts et qu’il était pour cela d’un autre temps, elle revenait en disant: «Mais c’est une âme adorable, un sensible, je ne m’en étais jamais doutée!» et elle se sentait pour lui une immense et soudaine amitié. 🔊✎
← Comme Mme Verdurin donnait parfois à Swann ce qui seul pouvait constituer pour lui le bonheur; comme, tel soir où il se sentait anxieux parce qu’Odette avait causé avec un invité plus qu’avec un autre, et où, irrité contre elle, il ne voulait pas prendre l’initiative de lui demander si elle reviendrait avec lui, Mme Verdurin lui apportait la paix et la joie en disant spontanément: «Odette, vous allez ramener M. Swann, n’est-ce pas»? comme cet été qui venait et où il s’était d’abord demandé avec inquiétude si Odette ne s’absenterait pas sans lui, s’il pourrait continuer à la voir tous les jours, Mme Verdurin allait les inviter à le passer tous deux chez elle à la campagne,—Swann laissant à son insu la reconnaissance et l’intérêt s’infiltrer dans son intelligence et influer sur ses idées, allait jusqu’à proclamer que Mme Verdurin était une grande âme. 🔊✎
← —Oh! vous savez ce qu’il y a surtout, dit modestement Mme Verdurin, c’est qu’ils se sentent en confiance. Ils parlent de ce qu’ils veulent, et la conversation rejaillit en fusées. Ainsi Brichot, ce soir, ce n’est rien: je l’ai vu, vous savez, chez moi, éblouissant, à se mettre à genoux devant; eh bien! chez les autres, ce n’est plus le même homme, il n’a plus d’esprit, il faut lui arracher les mots, il est même ennuyeux. 🔊✎
← Et lui, s’apercevant pour la première fois que Forcheville qu’il connaissait depuis longtemps pouvait plaire à une femme et était assez bel homme, avait répondu: «Immonde!» Certes, il n’avait pas l’idée d’être jaloux d’Odette, mais il ne se sentait pas aussi heureux que d’habitude et quand Brichot, ayant commencé à raconter l’histoire de la mère de Blanche de Castille qui «avait été avec Henri Plantagenet des années avant de l’épouser», voulut s’en faire demander la suite par Swann en lui disant: «n’est-ce pas, monsieur Swann?» sur le ton martial qu’on prend pour se mettre à la portée d’un paysan ou pour donner du cœur à un troupier, Swann coupa l’effet de Brichot à la grande fureur de la maîtresse de la maison, en répondant qu’on voulût bien l’excuser de s’intéresser si peu à Blanche de Castille, mais qu’il avait quelque chose à demander au peintre. 🔊✎
← Si, à la devanture d’un fleuriste ou d’un joaillier, la vue d’un arbuste ou d’un bijou le charmait, aussitôt il pensait à les envoyer à Odette, imaginant le plaisir qu’ils lui avaient procuré, ressenti par elle, venant accroître la tendresse qu’elle avait pour lui, et les faisait porter immédiatement rue La Pérouse, pour ne pas retarder l’instant où, comme elle recevrait quelque chose de lui, il se sentirait en quelque sorte près d’elle. 🔊✎
← Il arriva chez elle après onze heures, et, comme il s’excusait de n’avoir pu venir plus tôt, elle se plaignit que ce fût en effet bien tard, l’orage l’avait rendue souffrante, elle se sentait mal à la tête et le prévint qu’elle ne le garderait pas plus d’une demi-heure, qu’à minuit, elle le renverrait; et, peu après, elle se sentit fatiguée et désira s’endormir. 🔊✎
← A toute autre époque de sa vie, les petits faits et gestes quotidiens d’une personne avaient toujours paru sans valeur à Swann: si on lui en faisait le commérage, il le trouvait insignifiant, et, tandis qu’il l’écoutait, ce n’était que sa plus vulgaire attention qui y était intéressée; c’était pour lui un des moments où il se sentait le plus médiocre. Mais dans cette étrange période de l’amour, l’individuel prend quelque chose de si profond, que cette curiosité qu’il sentait s’éveiller en lui à l’égard des moindres occupations d’une femme, c’était celle qu’il avait eue autrefois pour l’Histoire. 🔊✎
← Et puis l’avantage qu’il se sentait,—qu’il avait tant besoin de se sentir,—sur eux, était peut-être moins de savoir, que de pouvoir leur montrer qu’il savait. 🔊✎
← Swann trouvait sage de faire dans sa vie la part de la souffrance qu’il éprouvait à ignorer ce qu’avait fait Odette, aussi bien que la part de la recrudescence qu’un climat humide causait à son eczéma; de prévoir dans son budget une disponibilité importante pour obtenir sur l’emploi des journées d’Odette des renseignements sans lesquels il se sentirait malheureux, aussi bien qu’il en réservait pour d’autres goûts dont il savait qu’il pouvait attendre du plaisir, au moins avant qu’il fût amoureux, comme celui des collections et de la bonne cuisine. 🔊✎
← Il ne se sentait plus exilé et seul puisque, elle, qui s’adressait à lui, lui parlait à mi-voix d’Odette. 🔊✎